Transmission universelle de patrimoine transfrontalière et liquidation judiciaire.
La transmission universelle de patrimoine transfrontalière, détournée de sa finalité première, peut être considérée comme un moyen d’éviter certaines poursuites ou l’ouverture d’une procédure collective.
Le décret du 7 juillet 2024 vient renforcer les modalités de publicité.
État des lieux.
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La Transmission Universelle du Patrimoine (TUP), notion d’origine jurisprudentielle, a été consacrée par la loi notamment par les articles 1844-5 du Code civil, L236-1, L236-3 du Code de commerce comme un dispositif de simplification de transmission d’entreprise et de restructuration par fusion ou absorption.
L’article 1844-5 dispose que : …
« une société, même en liquidation, peut être absorbée par une autre société ou participer à la constitution d’une société nouvelle, par voie de fusion. Elle peut aussi transmettre son patrimoine par voie de scission à des sociétés existantes ou à des sociétés nouvelles ».
En effet, le législateur entendait alléger les procédures de fusion absorption en droit des sociétés et les rendre plus rapides.
Au titre de ce processus, une société peut être absorbée selon des modalités simplifiées et ainsi disparaître dans la société absorbée en ayant pour obligation unique la publication de la TUP dans un journal d’annonce légale ouvrant un délai d’opposition aux créanciers de 30 jours [1].
À la suite de ce délai, les créanciers ne sont plus habilités à s’opposer à l’absorption de la société.
En raison de la simplicité de ce mécanisme, la TUP est également utilisée pour liquider une société en transférant son actif et son passif à une autre société. Cependant, ce système a également été détourné pour « liquider » des sociétés déficitaires, endettées, ou faisant l’objet de litiges fiscaux ou sociaux, dans le but d’échapper au recouvrement et aux poursuites.
C’est dans ces circonstances que l’on voit fleurir notamment sur Internet des propositions de liquidation à travers l’entremise de société absorbante étrangère.
Ces TUP dites « transfrontalière » impliquent des sociétés absorbantes situées soit dans l’Union européenne (EU) ou hors Union européenne ou hors de celle-ci, notamment en Angleterre [2].
Force est de constater, étant donné le nombre de ces propositions, que l’opération rencontre un certain succès.
Ainsi, face à l’augmentation des contentieux concernant les sociétés ayant fait l’objet de TUP, il est manifeste que le système de publicité actuel ne permet pas une opposition effective des créanciers, d’autant plus que le passif de certaines sociétés semble facilement « disparaître ».
Dans cette simplification, certains ont trouvé l’intérêt de la TUP comme outils de défaisance qui trouve sa limite exclusivement dans la fraude. C’est d’ailleurs pour cette raison que par le décret du 7 juillet 2024 [3], le gouvernement a renforcé les droits des créanciers et les obligations des sociétés tupée [4].
Les objectifs de simplification ont encouragé l’utilisation de la TUP comme un moyen de liquider la société en échappant à l’ouverture d’une procédure collective.
Dans ce contexte, la transmission universelle de patrimoine a pour objet unique de faire disparaître la personnalité morale de la société pour empêcher les poursuites.
1/ Sur les recours des créanciers.
Au terme de cette volonté de simplification, le législateur a réduit les formalités et notamment les formalités de publicité nécessaires pour l’opposabilité aux tiers.
Ainsi, la seule publicité obligatoire de la TUP consiste en la publication dans un journal d’annonce légale.
C’est à partir de la publication dans un journal d’annonce légale que s’ouvre un délai de 30 jours pendant lequel les créanciers peuvent s’opposer à l’opération afin de faire valoir leurs créances et droit.
L’opposition prend la forme d’une assignation et suspend le délai de 30 jours jusqu’à son règlement.
Dans la plupart des cas, il s’agit de créanciers sociaux (URSSAF) ou fiscaux (DGIP).
Or, certains ont compris que la publication dans un JAL pourrait passer inaperçue des créanciers et que le délai de 30 jours passé, il n’est quasiment plus possible de ressusciter la société tupée.
En ajoutant un élément d’extranéité, en faisant absorber la société française par une société étrangère, les poursuites semblent impossibles.
Ces opérations appelées parfois de défaisance, c’est-à-dire consistant à céder en même temps que les actifs, permettrait surtout de nettoyer le passif des sociétés sont largement publicisées sur internet, à la limite de la légalité.
Il convient cependant de mettre en parallèle la loi sur les procédures collectives (ordre public) qui selon le livre 6 du Code de Commerce dans son article L631-1 et suivant impose d’établir une déclaration de cessation de paiement dès lors que la société est en état de cessation de paiement c’est-à-dire qu’elle ne peut avec son actif disponible faire face à son passif exigible :
« Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L631-2 ou L631-3 qui, dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n’est pas en cessation des paiements ».
La déclaration de cessation des paiements doit être établie dans les 45 jours de la cessation des paiements pour ne pas être à l’origine d’une faute de gestion.
Or, il arrive de retrouver devant le tribunal de commerce saisi sur assignation des créanciers en vue de l’ouverture d’une procédure collective, des sociétés précédemment tupées.
La décision de la Cour d’appel de Riom en est un exemple parmi d’autres (Cour d’appel de Riom RG n° 21/00558 15 février 2023).
Dans cette espèce, et comme souvent, le créancier, l’Urssaf, a assigné une société précédemment tupée en liquidation judiciaire.
La liquidation a été prononcée et le liquidateur a ensuite poursuivi le dirigeant en comblement de passif et en sanction personnelle notamment pour l’absence de collaboration à la procédure (sic) du dirigeant.
Le dirigeant a été condamné en son absence, n’ayant pu être touchée par les convocations du tribunal, du fait de la disparition de la société.
Cette péripétie juridique est la conséquence de l’ignorance des créanciers et particulièrement de l’administration ou de l’URSSAF de la disparition de la société absorbée.
Ces aberrations juridiques posent la question de l’utilisation de la TUP comme moyen d’échapper à la liquidation judiciaire, ainsi que celle de la nécessité du renforcement des modalités d’utilité et opposabilité de la TUP.
Reste donc au créancier qui a laissé passer le délai d’opposition une seule possibilité d’annulation : la fraude.
2/ L’appréciation jurisprudentielle du principe : « fraus omnia corrumpit ».
Le créancier qui a laissé passer le délai d’opposition n’a selon les dispositions de l’article 1844-5 du Code civil, plus aucune possibilité de revenir sur la disparition de la société absorber.
La poursuite de la société absorbante, peut par ailleurs se révéler compliquée par la nature internationale du litige, quand la société absorbante est une société étrangère.
Aussi, le créancier qui lorsqu’il demande le paiement de sa créance se rend compte de la disparition du débiteur peut légitiment penser que l’opération de transmission a été réaliser en fraude de ces droits.
À la lumière du principe fraus omnia…, le créancier pourrait envisager une procédure d’annulation de la TUP réalisée frauduleusement, et ce, malgré la disparition de la personnalité morale [5].
En l’espèce et dans les autres espèces identiques, le créancier n’avait pas fait usage de son droit d’opposition.
La plupart des décisions rendues à ce titre rejettent l’argumentation basée sur la fraude dès lors que la société tupée a respecté la procédure.
Un arrêt de la Cour de cassation chambre commerciale du 11 septembre 2012 a pourtant laissé entrevoir la possibilité d’étendre et d’assouplir le régime de la fraude puisque dans cette décision, la Cour de cassation par un attendu alambiqué, valide l’annulation d’une TUP par la cour d’appel sur le moyen que malgré le respect de la procédure d’opposition, le dispositif de la TUP permettait d’échapper à la créance de l’URSSAF [6].
« Attendu, d’autre part, qu’après avoir constaté que la société ASG n’avait été immatriculée au registre du commerce de Munich que le 25 novembre 2008, postérieurement à la délivrance à la société Sécurance de l’assignation aux fins de liquidation judiciaire, l’arrêt relève que tandis que l’opération de dissolution sans liquidation était initiée depuis le 8 octobre 2008 et publiée dans un journal d’annonces légales depuis le 10 octobre suivant, la société Sécurance a comparu en chambre du conseil le 21 octobre 2008, ainsi que le 17 novembre, pour s’opposer à l’ouverture d’une procédure collective, sans la révéler à ses adversaires ; qu’il ajoute qu’au regard de la précipitation du transfert de la totalité des titres sociaux représentant le capital de la société Sécurance à un unique associé, de sa dissolution avec transfert universel du patrimoine à une nouvelle société en cours de constitution pour les besoins de la cause et du silence observé durant les deux premières audiences consacrées à l’examen de la demande de liquidation judiciaire formée par les URSSAF, il apparaît que l’opération, réalisée sciemment à l’insu des créanciers sociaux poursuivants, est le fruit d’une "ingénierie juridique" visant principalement à éluder l’application d’une règle d’ordre public, permettant d’échapper au débat sur l’éventuel état de cessation des paiements de la société Sécurance et de l’éventuelle ouverture d’une procédure collective subséquente ; qu’ayant ainsi fait ressortir, par une appréciation souveraine, que la société ASG avait mis en œuvre un processus lui ayant permis de priver d’efficacité de la faculté d’opposition ouverte aux créanciers par l’article 1844-5, alinéa 3, du Code civil, la cour d’appel a procédé à la recherche prétendument omise ».
Cette décision a toutefois été revue par la Cour de cassation notamment dans un arrêt du 25 mai 2022 dans lequel la Cour revient à une conception « stricte » de la fraude en mettant en avant le caractère subsidiaire du principe par lequel la fraude corrompt tout [7].
« 6. Un créancier ne peut se prévaloir de ce principe pour remettre en cause la dissolution sans liquidation d’une société que si la société bénéficiaire de la transmission universelle du patrimoine de la société dissoute a mis en œuvre un processus lui ayant permis de priver d’efficacité la faculté d’opposition ouverte par l’article 1844-5, alinéa 3, du Code civil.
7. Pour dire que la dissolution de la société FSE sécurité n’était pas opposable à l’Urssaf et ouvrir à son égard une procédure de liquidation judiciaire sans poursuite d’activité, l’arrêt constate que la dissolution de la société FSE sécurité a été publiée dans un journal d’annonces légales mais retient qu’une telle formalité apparaît en pratique illusoire, dès lors qu’elle implique une surveillance quotidienne de publications multiples. Il ajoute que, même si le texte ne l’impose pas, il aurait pu se concevoir, dans un souci de loyauté vis-à-vis de son créancier, que, se sachant poursuivie pour le paiement de sommes très conséquentes, la société FSE sécurité avise personnellement l’Urssaf de la dissolution.
8. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que la société So Far Away avait mis en œuvre un processus lui ayant permis de priver d’efficacité la faculté d’opposition ouverte à l’Urssaf par l’article 1844-5, alinéa 3, du Code civil, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
On ne peut que saluer cette clarification puisque le législateur a prévu la procédure d’opposition bien qu’elle soit perçue comme inefficace, elle joue le rôle de garde-fou des créanciers contre une transmission frauduleuse.
Aujourd’hui, la Cour de cassation est revenue à l’interprétation stricte de la notion de fraude.
La CJUE ne semble pas par ailleurs totalement sur le même point puisque sur une question préjudicielle de la juridiction italienne, concernant une procédure assez similaire, celle de scission dans les sociétés anonymes au titre de la directive 82/891/CE, la cour autorise, une action du créancier sur le fondement de la fraude [8].
Pour être complet, sur les délais d’opposition qui normalement est de 30 jours, la Cour de cassation, notamment dans une espèce du 25 mars 2020, numéro 18-20.079 a précisé que si un créancier a fait opposition dans les délais à la TUP, le délai d’opposition court jusqu’au règlement de cette opposition [9].
« 4. D’une part, aucun texte n’établit une présomption de renonciation à son droit ou une perte de ce dernier par le créancier d’une société, dont la dissolution est décidée par l’associé unique, qui ne forme pas l’opposition ouverte par l’article 1844-5, alinéa 3, du Code civil, de sorte que l’arrêt retient à bon droit que l’absence d’opposition du comptable des impôts est indifférente et ne peut modifier la situation juridique des parties à la date de l’ouverture de la sauvegarde de la société COFIC Saint Quentin.
5. D’autre part, après avoir relevé qu’au jour de l’ouverture de la procédure de sauvegarde de la société COFIC Saint Quentin, le 4 décembre 2015, la décision de dissolution n’avait pas emporté transmission universelle du patrimoine de la société COFIC Paris à son associée unique et que la société COFIC Paris n’avait pas perdu sa personnalité morale, puisque le délai d’opposition ouvert aux créanciers, dont le point de départ était la publication de la décision de dissolution intervenue le 18 novembre 2015, était encore en cours et qu’un créancier avait fait opposition, l’arrêt en déduit exactement que le comptable des impôts, créancier de la société COFIC Paris, n’était pas tenu de déclarer sa créance au passif de la sauvegarde de la société COFIC Saint Quentin dans le délai de deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture de cette procédure. Puis, faisant une exacte application des textes cités par le moyen, l’arrêt retient qu’en l’absence de décision du juge saisi de l’opposition d’un des créanciers de la société COFIC Paris, la transmission universelle du patrimoine de celle-ci à la société COFIC Saint Quentin n’était pas intervenue au jour du jugement du 22 janvier 2016 constatant la confusion de leurs patrimoines et étendant la sauvegarde de la seconde à la première, de sorte que le comptable des impôts était recevable à déclarer sa créance le 30 mars 2016, dans le délai de deux mois suivant la publication du jugement d’extension ».
La question de la fraude s’entend donc de tout stratagème ou œuvre n’ayant pas permis au créancier d’exercer son opposition, mais ne peut s’entendre de la seule volonté du débiteur d’opérer une TUP malgré ses dettes.
3/ De la nécessité de sécuriser les TUP ?
Devant le constat de l’utilisation détournée du mécanisme de la TUP comme moyen d’échapper au règlement des dettes fiscales ou sociales, l’administration a établi une nouvelle règle par un décret du 7 juillet 2024 donc l’entrée en vigueur est prévu très rapidement le 1ᵉʳ octobre 2024.
L’administration a voulu renforcer sur deux aspects des droits des créanciers et notamment les créanciers institutionnels.
Le premier point porte sur la publicité de la TUP qui sera dorénavant publiée au BODACC et second point impose au débiteur de présenter en complément de la décision de l’assemblée générale portant sur la TUP une attestation de régularité fiscale et une attestation quant aux régularités des obligations sociales.
On soupçonne à cet égard la frustration de l’administration et l’URSSAF concernant les sommes éludées pour avoir laissé passer le délai d’opposition ouvert par la publication dans un JAL.
Le durcissement des règles semble répondre aux arguments des créanciers qui, sans s’arrêter sur leur propre négligence à surveiller les publications dans les journaux d’annonces légales, sont insatisfaits de la règle de droit dirigeant les publicités légales depuis la loi de 1955.
Est-il nécessaire de rappeler que la publicité légale, un temps, perçue contre le secret des affaires, est actuellement objet de la volonté de simplification des démarches administratives, ce que réclament par ailleurs les entreprises.
Si on peut comprendre la volonté de protection des créanciers, cela vient contredire l’esprit de la loi de simplification laquelle permettait des opérations de fusion absorption de manière fluide et rapide.
Ainsi, il sera désormais plus difficile d’élaborer une transmission universelle de patrimoine et notamment au regard de l’obligation de fournir les attestations de régularité idoine.
De ce fait, le problème réside notamment dans le point de départ de l’opposition qui sera fixé par la publication au BODACC et ralentira d’autant la procédure.
En conséquence, il s’agira d’observer les effets du décret, en vigueur au 1ᵉʳ octobre 2024, et l’impact de ces nouvelles mesures sur la fraude prétendue des sociétés tupées.