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DÉNIGREMENT ET DIFFAMATION : DERNIÈRES JURISPRUDENCES SUR LA E-RÉPUTATION.

DÉNIGREMENT ET DIFFAMATION : DERNIÈRES JURISPRUDENCES SUR LA E-RÉPUTATION.

En 2017, nous avions annoncé une évolution de l’appréciation par les tribunaux des atteintes à l’E-réputation des entreprises.

 

( https://www.village-justice.com/articles/DIFFAMATION-EST-PAS-DENIGREMETN-VICE-VERSA-suite,24328.html)

 

Nous avions alors dressé  l’état de la jurisprudence, encore rare et observé un frémissement, l’apparition de microfissures dans l’autel de la protection de la liberté absolue d’expression dont le TGI était le gardien.

 

Aujourd’hui, la stratégie procédurale est plus claire et c’est la juridiction consulaire qui semble marquer les contours d’un nouveau chemin à travers plusieurs affaires de condamnation pour dénigrement.

 

Le 27 avril dernier, en pleine période de confinement, le tribunal de commerce de Paris a rendu une décision contre TRIP ADVISOR intéressante à plusieurs égards.

 

Si le tribunal judicaire a maintenant une compétence exclusive en ce qui concerne les procédures initiée sur le fondement  de la diffamation, le tribunal de commerce reste compétent s’agissant du dénigrement.

 

Pour rappel, la diffamation est l’atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne toujours régit par les dispositions coercitives de la loi sur la liberté de la presse de 1881.

 

Le dénigrement est une construction jurisprudentielle sur le fondement de la responsabilité délictuelle qui sanctionne un acte anticoncurrentiel sous l’article 1240 du Code Civil.

 

Il s’agit d’une critique, souvent malveillante ou biaisée des services ou des produits d’une entreprise.

 

Dans l’instance qui nous occupe,  « BDV » reprochait à TRIPADVISOR de laisser dénigrer ses services dans les forums de discussion.

 

TRIP ADVISOR, sur le modèle des GAFA, est, en dehors de ses activités de « guide », une entreprise de tourisme d’une importance considérable

 

(https://www.village-justice.com/articles/suppression-des-avis-sur-internet-justice-potentat,31934.html)

 

Comme on peut l’imaginer, la critique des services de BOURSE DES VOLS aurait pour conséquence que la clientèle se détourne au profit d’autres sociétés de tourisme et donc au profit de TRIP ADVISOR.

 

TRIP ADVISOR quant à elle, fonde sa défense sur la liberté d’expression et sur l’exception d’incompétence du tribunal de commerce s’agissant non pas de dénigrement mais de diffamation.

 

Elle soulève en outre l’incompétence rationae loci en présence d’une clause compromissoire de ses conditions générales et qui donne compétence aux tribunaux du Massachussetts.

 

Il s’agit là bien sûr d’une fin de non-recevoir, avancée avant toute défense au fond et couramment utilisé par les sociétés de l’internet internationales qui regimbent à accepter les juridictions du droit national.

 

Le tribunal de commerce s’appuie sur l’article 48 du Code de Procédure Civile pour la rejeter.

 

« Toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée. »

 

Ainsi, le juge, effectuant une analyse des conditions générales d’utilisations de TRIP ADVISOR, soulèvera le caractère non apparent de telle clause en ces termes :

 

« Attendu que l’examen des conditions générales de 2013, fait apparaître que le paragraphe « Droit applicable et tribunaux compétents » ou figure l’élection de for et la loi applicable est rédigée en petits caractères dans la même très petite taille de police que l’ensemble du texte des conditions générales et ne se différencie pas des autres paragraphes ; qu’il figure au milieu de trois pages de paragraphes sans qu’il ne soit facilement possible à l’œil de le distinguer du reste des autres paragraphes des CGU ;


Attendu de plus qu’à l’intérieur de ces conditions générales la société TripAdvisor LLC a souhaité rendre plus visible dans le paragraphe de la clause « Utilisation des salles de réunion, Informations télématiques et autres forum de discussion » sa deuxième partie qui énonce « tripadvisor ne revoit ni ne contrôle… » en l’inscrivant en gras de telle sorte que la société TripAdvisor LLC a elle-même souhaité rendre plus apparent cette partie du paragraphe à l’intérieur des CGU, considérant que seul ce texte devait être très apparent ;


En conséquence le tribunal dira sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens que la clause attributive de compétence de la société TripAdvisor LLC, faute d’être spécifiée de façon très apparente, est nulle et en conséquence que le droit français est applicable et ses tribunaux compétents ; »

 

De manière classique, TRIP ADVISOR sollicitera en deuxième lieu l’incompétence rationae materiae du tribunal de commerce en arguant du caractère diffamatoire des propos qu’on lui reproche donnant ainsi compétence exclusive au tribunal judiciaire de Paris.

 

Il est à noter que l’application de la procédure de diffamation dans ces affaires entraîne invariablement la prescription ou la nullité pour non accomplissement de formalités propres à cette procédure.

 

Cette exception est rejetée par le tribunal de commerce au motif que les critiques discutées sont dirigées vers le site « BOURSE DES VOLS » lequel est un service de la société VIATICUM et non vers la personne morale elle-même, laquelle n’est pas même citée.

 

« Qu’en l’espèce, relève du régime juridique du dénigrement les propos incriminés publiés sur le site de la société TripAdvisor LLC, en ce qu’ils critiquent un produit, à savoir le service BDV de la société Viaticum et la qualité des prestations fournies par celui-ci, mais ne portent pas sur le comportement de la société Viaticum, personne morale parfaitement identifiée, jamais mentionnée ; »

 

Le tribunal de commerce de Paris renvoie les parties au fond à une autre audience.

 

Le tribunal de commerce rend de ce fait, peut être volontairement,  à la juridiction commerciale la prérogative du respect du principe de loyauté dans le commerce entre commerçants.

 

La juridiction civile est cependant sur un autre registre.

 

Celui du principe de la liberté d’expression appliqué particulièrement aux consommateurs utilisant des forums de discussion pour « s’exprimer » sur des produits ou des services.

 

Le tribunal judicaire considère encore majoritairement que la liberté d’expression laissée aux intervenants sur les forums, même si leur qualité de consommateur n’est pas avérée, doit être pleine et entière.

 

Le seul rempart est la loi de la presse de 1881 et ses dispositions sur la diffamation.

 

Pour exemple, le tribunal de commerce de Paris avait dans une ordonnance de référés en date du 14 juin 2019 condamné Mr X et la société nouvelle des annuaires français a cessé tout acte dénigrant envers la société QWANT.

 

Saisie sur appel, la Cour de Paris infirme l’Ordonnance du tribunal en requalifiant les critiques en diffamation, passant de manière lapidaire sur les propos tenus en établissant qu’il ne s’agissait pas d’une critique des services de QWANT.

 

« A l’évidence ces propos imputés à M. X visent uniquement la société intimée, personne morale et son dirigeant parfaitement identifiés à l’exclusion de ses produits ou services puisqu’ils n’ont pas pour objet de mettre en cause la qualité des prestations fournies par la société Qwant mais portent sur le comportement de cette dernière et sont susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa considération en »

 

CA Paris, pôle 1 - ch. 3, 8 janv. 2020, n° 19/12952.

 

La Cour donne au surplus une définition du dénigrement :

 

« Il en résulte que les allégations qui n’ont pour objet que de mettre en cause la qualité des prestations fournies par une société, même si elles visent une société nommément désignée ou son dirigeant, relèvent du dénigrement, dans la mesure où elles émanent d’une société concurrente de la même spécialité exerçant dans le même secteur et sont proférées dans le but manifeste d’en détourner la clientèle. »

 

En conséquence,  elle en déduit qu’il faut que les propos émanent d’un concurrent direct du même secteur pour fonder un dénigrement.

 

 

Or, par une décision antérieure et pour une autre espèce, en date du 11 juillet 2018 de la Cour de Cassation, le dénigrement ne semble plus être réduit à une situation de concurrence directe.

 

Par un attendu de principe, la Cour énonce que :

 

« … même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre, peut constituer un acte de dénigrement ; »

 

Arrêt n°735 du 11 juillet 2018 (17-21.457 ) - Cour de cassation - Première chambre civile.

 

Mais aussi Cour de cassation, ch. com., 9 janvier 2019, n° 17-18.350.

 

https://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/arrets_publies_2986/chambre_commerciale_financiere_economique_3172/2019_9124/janvier_9125/64_9_41105.html

 

Cette décision semble avoir inspirée par ailleurs le tribunal de commerce de Versailles dans une affaire YUKA C/ FIAC du 5 mars 2020.

 

« https://www.legalis.net/jurisprudences/tribunal-de-commerce-de-versailles-ordonnance-de-refere-du-5-mars-2020/ »

 

YUKA est une application mobile qui permet de scanner les produits alimentaires et cosmétiques en vue d’obtenir des informations détaillées sur l’impact d'un produit sur la santé.

 

Elle compte 12 millions d’abonnés.

 

Par un article de son blog, l’auteure mettait en cause l’utilisation de plastique et de métal dans les emballages des produits consommés.

 

La Fédération de l’industrie des aliments conservés (FIAC) tenait ces propos pour dénigrants et en demandait la suppression.

 

Le tribunal, en rappelant l’attendu de la Cour de Cassation :

 

« même en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure. » ;

 

Condamne YUKA pour dénigrement au motif suivant :

 

« la tonalité des propos contenus dans le blog manque de mesure par une généralisation abusive relative à tous les emballages dans lesquelles les aliments sont conservés ;que l’information transmise par l’article litigieux manque aussi de base factuelle suffisante , qu’elle se fonde sur une source unique, laquelle est citée à mauvais escient et interprétée de manière extensive ; »

 

Reste une incompréhension.

 

L’attendu de la Cour de Cassation insiste sur un second élément nécessaire pour que le dénigrement soit constitué.

 

Il faut que  l’information donnée se rapporte à un sujet général sous réserve qu’elle soit exprimée avec mesure.

 

Or, il est incontestable qu’un sujet de santé publique comme la possible dangerosité des emballages est d’intérêt général.

 

Le juge doit donc, pour écarter ce point, démontrer que la discussion dont s’agit manque de mesure.

 

S’agissant d’une demande en référés, il n’est pas évident que l’appréciation du caractère outrancier d’une opinion soit de sa compétence.

 

D’ailleurs, un sujet d’intérêt général ne se caractérise-t-il pas par sa vocation à être débattu ?

 

Pas à pas se dessine toutefois une définition plus précise du dénigrement et de son application à l’E-réputation.

 

Le nombre de contentieux augmentant sensiblement, entre la loi de 1881 et les retombées jurisprudentielles de l’article 1240 du Code Civil, il serait bon de réfléchir à un traitement spécifique de la réputation sur internet pour les commerçants.

 

Certainement à suivre…

 

 

Laurent FELDMAN

Publié le 22/05/2020