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Tribunal de commerce de Paris, 8ème ch., jugement du 23 novembre 2016

Tribunal de commerce de Paris, 8ème ch., jugement du 23 novembre 2016

Tribunal de commerce de Paris, 8ème ch., jugement du 23 novembre 2016

SAS X. et SA Y. / L'Association « lesarnaques.com »

commentaires - dénigrement - e-réputation - forum de discussion - modération - parasitisme - publicité

L’Association « lesarnaques.com », ci-après lesarnaques.com, est une association  de consommateurs qui met à la disposition des internautes un site sur lequel ceux-ci peuvent intervenir et échanger publiquement sur les litiges qu’ils rencontrent avec des professionnels. La SA Y. est une agence de voyages proposant  ses services sur un site Internet sous l’enseigne « Z » ;
La SAS X. est une société de prestations informatiques dont le dirigeant est également dirigeant de Y.
X. et Y. estiment qu’elles ont fait l’objet de dénigrement sur le site lesarnaques.com,  et également  de parasitisme, puisqu’à  partir des mots clé « Z », les moteurs de recherche  orientaient des internautes  vers le site lesarnaques.com, au profit des annonceurs présents sur ce site ;
par LRAR du 16 mars 2015, le conseil de X. et Y. met en demeure lesarnaques.com « de supprimer dans  les 48 heures à compter de la réception des présentes, l’ensemble des messages accessibles aux adresses URL suivantes :... » ;
A défaut, il annonce qu’il portera l’affaire devant la justice.
N’obtenant pas satisfaction,  X. et Y. demandent réparation, faisant naître la présente instance.

LA PROCÉDURE

Par acte extrajudiciaire du 6 juillet 2015, X. et Y. assignent lesarnaques.com ; par cet acte, et par conclusions en réplique à l’audience du 2 février 2016, ces deux sociétés demandent au  tribunal de :

à titre préliminaire :
– dire et juger que l’association lesarnaques.com, ancienne société à caractère commercial, continue d’exercer une activité commerciale, notamment en commercialisant l’espace publicitaire de son site « lesarnaques.com » ;
– dire et juger que le tribunal de commerce de Paris est par voie de conséquence matériellement compétent ;
sur le fond :
– dire et juger que le nom commercial, le nom du site, et les marques « Z » de X. et Y. sont réutilisés dans le site lesarnaques.com, et les messages diffusés aux adresses URL suivantes :

o    http://forum.lesarnaques.com/
o    http://forum.lesarnaques.com/…
o    http://forum.lesarnaques.com/
o    http://forum.lesarnaques.com/…

– Dire et juger que cette réutilisation et le contenu des messages diffusés dénigrent les services, les noms, les marques, et l’image de X. et Y. ;
– dire et juger qu’en ne supprimant par les messages litigieux, l’association lesarnaques.com commet une faute sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil ;
– dire et juger que l’association lesarnaques.com se place dans le sillage de X.et Y. en détournant leur clientèle vers son espace publicitaire, tire profit de leurs investissements publicitaires, de leur ancienneté, de leur notoriété ;
– dire et juger que l’association lesarnaques.com profite sans bourse délier des investissements des demanderesses et par conséquent, les parasite ;
– dire et juger que X.et Y. subissent du fait de ces fautes, un préjudice patrimonial ;
– condamner l’association lesarnaques.com, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard, à supprimer de son site Internet « les arnaques.com » toute référence au nom commercial, site et marques « Z » et « ZZ » des demanderesses, et les messages les concernant accessibles notamment aux URL suivantes :

o    http://forum.lesarnaques.com/
o    http://forum.lesarnaques.com/…
o    http://forum.lesarnaques.com/
o    http://forum.lesarnaques.com/…

– Condamner, sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil, l’association lesarnaques.com à verser aux sociétés demanderesses la somme de 30 000 € de dommages et intérêts ;
– condamner l’association lesarnaques.com à verser aux demanderesses la somme de 7 000 € au titre de l’article 700 du CPC ;
– l’exécution provisoire et les dépens sont également requis.

Par conclusions à l’audience du 23 novembre 2015, lesarnaques.com demande au tribunal de :
– lui donner acte de l’exception d’incompétence rationae materiae soulevée dans le cadre de la présente instance :
y faisant droit :
– se déclarer incompétente rationae materiae pour connaître du présent litige et renvoyer X. et Y., en tant que de besoin, à mieux se pourvoir devant la juridiction civile ;
– déclarer lesarnaques.com recevable et bien fondée en ses demandes, fins et conclusions ;
– débouter X. et Y. de l’ensemble de leurs demandes et conclusions ;
– condamner reconventionnellement X. et Y. à  payer à lesarnaques.com la somme de 5 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par suite de la présente procédure abusive ;
– 3 500 € au titre de l’article 700 du CPC ainsi que !es dépens sont également requis ;

A l’audience du 2 février 2016, X. et Y. maintiennent leurs demandes mais portent à 7 000 € la demande formulée au titre de l’article 700 du CPC.

Par jugement du 14 septembre 2016, le tribunal a dit recevable mais mal fondée l’exception d’incompétence d’attribution soulevée par lesarnaques.com, en a débouté lesarnaques.com, et s’est déclaré compétent pour juger du litige ;
un calendrier a été fixé, et le tribunal a réservé l’article 700 et les dépens ;

Aucune nouvelle conclusion n’a été déposée par les parties depuis cette date ; l’ensemble des conclusions ou demandes a été échangé en présence d’un greffier qui en a pris acte sur la cote de procédure.
A l’audience collégiale du 27 septembre 2016, l’affaire revient devant le juge chargé de l’instruction et les parties sont convoquées à son audience du 18 octobre 2016, à laquelle elles se présentent toutes les deux. Après avoir entendu leurs observations, le juge clôt les débats et annonce que le jugement, mis en délibéré, sera mis à disposition au greffe le 23 novembre 2016, conformément à l’article 450 alinéa 2 du CPC.

Les moyens des parties :

A l’appui de leurs demandes, X. et Y. :
– font valoir qu’elles ont été dénigrées par lesarnaques.com
o   ceci est, confirmé par la jurisprudence ;
o   le mot arnaque est clairement synonyme d’escroquerie, et l’association du nom même du site lesarnaques.com avec Z constitue donc un dénigrement ;
o    les messages publiés sur lesarnaques.com ont un fort contenu dénigrant ; par ailleurs, étant écrits par des internautes anonymes, il n’est pas possible d’y répondre ;
o    en renvoyant à la DDPP (direction départementale de la protection des populations) le site lesarnaques.com ajoute à la suspicion envers Z ;
o    si certains messages ont été supprimés, d’autres ne l’ont pas été ; le rôle de modérateur revendiqué par lesarnaques.com est donc ici très relatif ;
o    en laissant paraître ses messages, lesarnaques.com commet une faute au sens de l’article 1382 du Code civil ; en s’abstenant de les faire disparaître alors que les demanderesses le lui ont demandé, elle fait également preuve de négligence au sens de l’article 1383 du Code civil ;
– soutiennent également que lesarnaques.com a fait preuve de parasitisme :
o    lesarnaques.com comptent parmi leurs annonceurs des concurrents de Z. qui attireront donc les internautes après que ceux-ci aient constaté le dénigrement de Z. ;
o    sans avoir à investir, lesarnaques.com tirent dont profit des investissements réalisés par X. et Y. ;
– estiment qu’elles ont subi un préjudice : préjudice d’image et perte de clientèle ; les demanderesses estiment ce préjudice à 30 000 € ;
– affirment qu’il y a un lien de causalité entre tes fautes commises par la défenderesse (article 1382 et 1383 du Code civil) et le préjudice subi ;

Pour sa part, lesarnaques.com fait valoir que selon une jurisprudence (non transmise au tribunal) elle ne peut être convaincue de dénigrement ni de parasitisme et conclut au débouté des demandes de X. et Y. ;

DISCUSSION

Sur le dénigrement :

– Attendu qu’il reviendra au tribunal d’examiner le point de savoir si lesarnaques.com a dénigré les sociétés X. et Y. au point de leur causer un dommage ;
– Attendu que selon le constat établi par l’huissier en septembre 2010 (document  20) au chapitre «règlement intérieur», les responsables du site lesarnaques.com s’expriment ainsi vis à-vis des différents contributeurs : « afin que le forum reste un endroit convivial et agréable pour tout le monde, certaines règles ont été édictées…
Ces règles sont susceptibles d’évoluer au fil du temps et des besoins et doivent par conséquent être respectées par toute personne inscrite sur le forum. Tenez-vous en aux faits et évitez les jugements de valeur, propos pouvant être considérés comme dénigrant ou diffamatoires. Ils peuvent vous valoir à vous-même, ainsi qu’au forum, des poursuites des professionnels… « ;
Que lesarnaques.com était donc parfaitement consciente du risque encouru, notamment par elle ;
– Attendu qu’il est incontestable, et d’ailleurs non contesté par lesarnaques.com qu’un certain nombre de messages ont un caractère fortement dénigrant ; ainsi  par exemple le 30 avril 2014 : « (…) » ;
– Attendu que lesarnaques.com prétendent jouer un rôle de « modérateur » des propos diffusés sur leur site ; mais que d’une part un certain nombre de messages (notamment les 2 messages cités ci-dessus) ne sont pas supprimés ; que d’autre part, une modération que l’on pourrait qualifier de partielle est effectuée par suppression de certains mots, ainsi le mot « bidon » dans le commentaire suivant : « (…) » mais que le mot ainsi supprimé reste parfaitement imaginable par le lecteur du commentaire et que donc le caractère dénigrant du propos n’est en rien atténué ;
– Attendu que le caractère malveillant des propos est accentué par le nom lui-même du site, comportant le mot arnaque ;
– Attendu que dans la présentation que lesarnaques.com fait de lui-même sur son site (document 21 du constat d’huissier), coexistent des propos conciliants (« objet : intervenir dans la médiation du litige entre les particuliers et les professionnels ») et des propos beaucoup plus agressifs : « … Notre but est d’éviter que des arnaqueurs sévissent sur notre  pays. Les (censuré) sont sans cesse renouvelées et les escrocs se servent justement des nouvelles technologies… » ;
Attendu que la notion de médiation a complètement disparu de ce second type de propos ;
– Attendu que par LRAR du 16 mars 2015, le conseil de X. et Y. a mis en demeure lesarnaques.com de supprimer les messages incriminés ; que par LRAR du 25 mars 2015,  lesarnaques.com annonçait prendre un certain nombre de mesures partielles  mais qu’un certain nombre de messages demeuraient sur le site et que d’autres y sont apparus par la suite ;

Le tribunal dira que  lesarnaques.com a fait preuve de dénigrement à l’égard de  X. et Y. et la condamnera à supprimer de son site Internet toute référence au nom commercial, site et marques « Z » et « ZZ » de X. et Y., et les messages les concernant accessibles notamment aux adresses URL suivantes :

o    http://forum.lesarnaques.com/
o    http://forum.lesarnaques.com/…
o    http://forum.lesarnaques.com/
o    http://forum.lesarnaques.com/…

il assortira cette condamnation d’une astreinte de 500 € par jour de retard, à partir d’un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir, et pendant un délai de 30 jours passé lequel il sera de nouveau fait droit ; il déboutera X. et Y. pour le surplus de leurs demandes ;

Sur le parasitisme :
attendu que selon les termes employés par la Cour de Cassation, le parasitisme est « l’ensemble des comportements par lesquelles un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire » ;
– attendu que les demanderesses reprochent à lesarnaques.com de présenter à sa clientèle, lorsque celle-ci se retrouve sur le site lesarnaques.com, des publicités pour ses concurrents, publicités qui lui permettraient alors par une action de parasitisme, de réaliser un profit à ses dépens ;
– mais attendu que les publicités en question, qui ciblent adroitement les internautes intéressés par le voyage, sont choisies par les algorithmes du moteur de recherche (en l’occurrence, Google), que lesarnaques.com s’est contenté de souscrire un abonnement au service Adsense de Google, certes rémunérateur pour elle ;
– attendu qu’il n’est pas démontré que lesarnaques.com, ainsi alimenté en bannières publicitaires par Google, ait la moindre influence sur le choix de ces annonceurs ; que si la rémunération obtenue grâce au service Adsense est bien un élément de son modèle économique, le rôle passif qu’elle ne joue dans  ce mécanisme ne permet pas de dire qu’elle ait parasité le service Z ;

Le tribunal dira que lesarnaques.com n’a pas fait preuve de parasitisme vis-à-vis de X. et Y.

Sur la demande de dommages intérêts formulée par les demanderesses :
Attendu que selon l’article 1382 du Code civil, « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » ; et que selon l’article 1383, « Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence » ;
– attendu que X. et Y. disent avoir subi un manque à gagner et un préjudice d’image et qu’elles demandent des dommages-intérêts à hauteur de 30 000 € en réparation de ce préjudice ;
– attendu que le tribunal a conclu que X. et Y. ont été dénigrés, que le préjudice correspondant doit être compensé, mais que les demanderesses n’apportent aucune justification du montant demandé ;

le tribunal dira que les demanderesses ont subi un préjudice que le tribunal usant de son pouvoir souverain d’appréciation, estimera à 9 000 €, condamnera lesarnaques.com à payer cette somme à  X. et Y., déboutant pour le surplus de la demande ;

Sur la demande de dommages-intérêts formulée par la défenderesse

Eu égard aux condamnations ci-dessus prononcées, le tribunal déboutera l’Association «lesarnarques.com» de sa demande de dommages intérêts pour procédure abusive ;

Sur l’article 700, l’exécution provisoire et les dépens :

– Attendu que pour faire reconnaître ses droits, X. et Y. ont dû engager des frais non compris dans les dépens qu’il serait inéquitable de laisser à leur charge, le tribunal condamnera lesarnaques.com à leur payer la somme de 3500 € au titre de l’article 700 du CPC, déboutant pour le surplus ;
– Attendu que l’exécution provisoire est sollicitée, qu’elle apparaît nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, elle sera ordonnée ;
– Attendu que lesarnaques.com succombe, elle sera condamnée aux dépens de l’instance.

 

DÉCISION

Le Tribunal statuant publiquement, en premier ressort, par jugement contradictoire,

– dit que l’Association « lesarnaques.com » a dénigré les services, noms, marques et images de la SAS X. et la SA Y. ;
– dit que l ‘Association « lesarnaques.com » ne s’est pas rendu coupable de parasitisme envers la SAS X. et la SA Y. ;
– condamne L’Association« lesarnaques.com » à supprimer de son site Internet toute référence au nom commercial, site et marques « Z » et « ZZ »  de X. et Y. et les messages les concernant accessibles notamment aux adresses URL suivantes :

o    http://forum.lesarnaques.com/
o    http://forum.lesarnaques.com/…
o    http://forum.lesarnaques.com/

o    http://forum.lesarnaques.com/…

– assortit cette condamnation d’une astreinte de 500 € par jour de retard, à partir d’une durée de 15 jours à compter de la signification du présent jugement, et pendant un délai de 30 jours passé lequel il sera de nouveau fait droit, déboutant pour le surplus de la demande ;
– condamne L’Association « lesarnaques.com » à payer à la SAS X. et la SA Y. la somme de 9000 € au titre de dommages-intérêts, déboutant pour le surplus de la demande ;
– condamne L’Association « lesarnaques.com » à payer à la SAS X. et la SA Y. la somme de 3 500 € au titre de l’article 700 du CPC, déboutant pour le surplus de la demande ;
– déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
– ordonne l’exécution provisoire ;

Condamne L’Association « lesarnaques.com » aux dépens, dont ceux à  recouvrer  par  le greffe, liquidés à la somme de 144,84 € dont 23,92 € de TVA.

En application des dispositions de l’article 871 du code de procédure civile, l’affaire  a été débattue le 18.10.2016, en audience publique, devant M. Jean-Marc Bornet, juge chargé d’instruire l’affaire, les représentants des parties ne s’y étant pas opposés.
Ce juge a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré du tribunal, composé de : MM. Jean­ Jacques Vaudoyer, Jean-Marc Bornet et Emmanuel de Tarlé.
Délibéré le 25.10.2016 par les mêmes juges.
Dît que le présent jugement est prononcé par sa mise à disposition au greffe de ce tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.


Le Tribunal : Jean-Jacques Vaudoyer (président), Jean-Marc Bornet et Emmanuel de Tarlé (juges), Isabelle Fabiani (greffier).

Avocats : Me  Arnaud Dimeglio et SCP Eric Noual – Nicolas Duval, Me Karim Ouchikh

Publié le 21/02/2017